Un bémol majeur
New-York – Etats-Unis
On le sait avant d'y venir, mais l'Amérique c'est aussi le choc des paradoxes. Tandis que les grattes-ciel flirtent avec le soleil, les miséreux embrassent la terre.
L'abondance est partout. Nulle part les yeux ne se posent sans voir de rutilantes cylindrées, des vitrines savamment achalandées, des couleurs vives, de la nourriture à chaque coin de rue. Mais l'oeil fait aussi cet exercice hypocrite de contorsion, évitant de le voir, lui, couché par terre, la bouche ouverte, crevant à dose homéopathique.
Lui, secouant un verre en carton parafiné du Burger King, avec quelques piècettes, comme un singe à qui on n'aurait rien appris d'autre. On ne veut pas les voir, ces corps malades, ces mains blessées, ces yeux rougis, exhorbités, ces lèvres si sèches. On retient même sa respiration pour ne pas sentir. Ne pas se laisser contaminer par cette misère, cette odeur.
On sert la main des enfants comme si cela leur éviterait, à eux aussi, de voir cette réalité là, et la honte qu'elle projette sur notre société.
Partout dans le monde, cette misère existe. Mais elle semble ici exacerbée par l'amplitude des différences. Comme si l'arrogance de l'immensité de tout était finalement payée par le plus insignifiant des petits.