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La laverie
Sur la route – Etats-Unis

Cela fait déjà une heure que je m'affaire en ce lieu tristounet.
La buanderie d'une petite bourgade perdue dans l'arrière pays c'est souvent triste. Des rangées de machines posées sur du lino déchiré, usées au lavage du linge des gens modestes.
Des immigrés, des vieilles personnes ou de vieux garçons qui attendent que les cycles "prêts a repasser" cessent sur des chaises en formica. Des instructions grifonnées grossièrement, scotchées sur les murs écaillés, le distributeur automatique offrant dosettes de savon, barres chocolatées périmées ou chewing-gum mentholés. Même la lumière filtrant mal au travers de ces fenêtres sales, semble jeter sur tout un blues à l'âme.
Lessive terminée, pliée, je ne l'avais pas vu entrer, avec son petit sac à main collé à la hanche et son cabas de linge à lessiver. Elle, comme tous les jeudis matin, arrive à 9:15, juste après avoir relevé son courrier, et siroté une tasse de thé en caressant son chat. Habillée d'un jean repassé, d'un polo imprimé de fleurs des champs "made in China", et de baskets de plastique blanc, elle tremble de tout son être. Tous ses mouvements son saccadés, comme           

Sentiment du monde précédent

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décomposés. Elle s'applique d'une main à transférer le linge du cabas à la machine, tandis que l'autre garde son petit sac à main plaqué à son petit corps frêle. Ses longs et trop fins cheveux blancs noués en queue de cheval, sont encore un signe de sa coquetterie.
Je l'observe secrètement. Son application à entretenir son linge, ses gestes délicats, lents, et hachurés, son âge d'une autre vie...je voudrais aller vers elle. La serrer dans mes bras. Lui demander. Lui poser cette question qui me hante : "Es-tu heureuse ? As-tu aimé ta vie ?". Mais je n'ose pas. Ma bouche étranglée prononce un faible "Good bye".  Elle ne l'a pas entendu. Evidemment, comment aurait-elle pû entendre un mot si étouffé ? Le bruit des machines, la distance... Je redis mon au revoir en tentant de bouger pour me faire remarquer. Elle lève son visage, toujours aussi tremblante, et son regard me transperce. Ses yeux sont bleus, comme un matin clair. Mouillés par la vieillesse et pétillants. Elle ébauche un sourire et sa voix éraillée et saccadée comme ses mouvements me lance un : "good bye, have ... a...very...nice day".
Elle met tant d'application à la prononciation de chaque mot, pesant la valeur de ce qu'elle dit, les yeux accrocheurs et perçants, et par la magie de ce qui se passe entre deux êtres sans discours lorsqu'ils se regardent vraiment, ce qu'elle me dit c'est : "oui j'ai aimé ma vie et je suis encore heureuse. Passes une bonne journée car chaque journée est une bonne journée."
Je franchis le pas de porte, les bras chargés, le coeur remplit. Il fait beau. Le soleil était là. Je ne l'avais simplement pas remarqué.

Sentiment du monde suivant

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